Fusillé comme otage. Il était étudiant en lettres, militant communiste, secrétaire national de l’UEC, résistant, membre du triangle de direction des Étudiants communistes. Il a été à l’école primaire, laïque, jusqu’en 1930, l’année où son père décéda. Puis, reçu au concours des bourses, il alla au lycée d’Oran puis jusqu’en 1937 avec le baccalauréat de philosophie en poche. Il part ensuite faire un an de 1ère supérieure à Alger. Il rejoint Paris où à partir de novembre 1938 il s’inscrit pour une licence de Lettres à la Sorbonne. Sa mère vint rejoindre ses enfants Yvon et Suzanne en Métropole à l’automne 1937. Ses deux sœurs étaient institutrices et syndiquées. Il est détenteur d’un Baccalauréat en 2 parties avec certificat de Licence de philologie et latin-grec. Yvon Djian adhéra en 1936 aux Jeunesses communistes alors qu’il fréquentait le lycée d’Oran et en resta membre trois ans. Il devint alors secrétaire d’un groupe d’étudiants du 2nd degré adhérant aux J.C à Oran. Membre de l’Union des Étudiants Communistes de France depuis sa fondation, il entra, en avril 1939, au premier bureau de l’UEC. Il fut également membre du Comité de l’Association Corporative des Étudiants en Lettres de Paris (section Lettres pures, latin, français, Grec). Il a été délégué au 9e Congrès de la Fédé des Jeunesses, ainsi qu’au Congrès International d’Unification des Étudiants Communistes et Socialistes qui s’esttenu à Paris du 15 au 17 juillet 1937. A Paris, il a participé à toutes les manifestations ouvrières ou du Front Populaire qu’il a pu. Il fut notamment arrêté et conduit au Poste de police avec une soixantaine de camarades après avoir participé à la manifestation des Jeunesses Communistes sur les Grands Boulevards pour demander l’ouverture des Pyrénées. C’est début mars 1939 qu’il adhéra au Parti communiste. Il avait fait sa demande d’adhésion l’année précédente à Alger, sur l’instigation de son camarade Lenoir, secrétaire régional, mais il quitta la ville avant que le Parti donne suite à sa demande. A Paris ayant de nombreuses tâches à l’UEC et quoiqu'entièrement d’accord avec le Parti, il n’y adhéra pas immédiatement, de peur d’être surchargé. Mais ayant été désigné en tant que secrétaire de la Région parisienne des Étudiants communistespour faire la liaison avec la Section du 5e arrondissement du Parti, étant donc appelé à assister à des réunions de cette section, il lui est apparu indispensable d’avoir sa carte du Parti. En mars 1939, il reconnaît qu’il n’a jamais reçu d’instruction politique systématique, à part quelques séances d’une école de cadres organisée par la région algérienne des J.C sur les questions coloniales, dans la mesure où sa condition d’interne au lycée le lui permettait. Cependant il s’efforce de s’éduquer depuis son adhésion aux Jeunesses communistes en lisant les brochures du parti, sa presse, et en fréquentant des réunions, conférences ou causeries, de même que par les fréquentations de vieux militants du parti. Outre son engagement au Parti et aux organisations qu’il contrôle, Yvon Djian a adhéré au Mouvement des Auberges de Jeunesses (AJ), aux groupes d’études de la Sorbonne (organisations officielles) et au cercle Diderot (groupant les étudiants par ces lettres progressistes). En 1939, il demeurait avec sa sœur, étant célibataire. Il ne fut pas mobilisé car il avait été réformé. Il aurait été alors instituteur intérimaire en région parisienne. Devenu secrétaire national de l’UEC, il dut quitter la faculté après l’interdiction du Parti communiste. Il semble qu’il a été avec Francis Cohen et François Lescure, membre du triangle de direction de l’organisation illégale. Francis Cohen a décrit Yvon Djian comme quelqu’un "ayant la rage de vivre", se jetant "dans les études comme il s’est jeté dans l’action résistante. Il était gai, infatigable, impatient." Il précise qu’il a pris part à toutes les luttes d’avant-guerre, contre l’esprit munichois, pour la solidarité avec l’Espagne républicaine, contra la dégradation de l’Université. Il était selon Cohen "de toutes les réunions, de toutes les manifestations ; il acceptait toutes les responsabilités". En juin 1940, il s’installe à la Cité Universitaire de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) comme étudiant en Lettres. De juin à octobre, il a été employé au centre d’accueil des réfugiés, à Clermont-Ferrand. Il est bientôt en contact avec le noyau d’étudiants communistes, Marc Lefort, Nicole Joubert et Colette Sellier. Il est connu sous le pseudonyme de Vidal. Il organise une distribution massive de tracts auprès des étudiants et d’un groupe de lycéens et quitte la région juste avant cette distribution du 28 novembre 1940. C’est Lefort qui le remplace pour diriger les étudiants sur Clermont-Ferrand. Son dossier d’homologation de grade FFI, rempli par sa mère, indique qu’il fut étudiant à Clermont-Ferrand d’octobre 1940 à juin 1941. Il aurait selon elle été étudiant à Toulouse de juin à octobre 1940. Cette chronologie ne correspond pas aux dates où il était à Clermont-Ferrand pour structurer l’organisation et doit être considérée comme fausse. Djian serait parti pour Limoges en novembre 1940 puis Lyon. Il continue néanmoins à donner ses consignes au groupe clermontois, rencontrant notamment Lefort le 12 janvier 1941 à Vichy. La police clermontoise en 1941 est donc convaincue de la grande importance de Djian. A cet automne 1940, il est présenté comme membre du trio qui avec Pierre Georges (futur colonel Fabien) et Yves Moreau, contribua à l’automne 1940 à l’organisation clandestine des étudiants communistes en zone Sud. On sait qu’Yvon Djian était à Montpellier (Hérault), quelques jours après la manifestation du 11 novembre 1940 organisée par les étudiants communistes entre la place de l’Etoile et les Champs-Elyzées, racontant alors à Yves Moreau ce qui s’était passé à Paris. Après Clermont-Ferrand puis un passage à Lyon (Rhône), il retourne à Paris -en octobre 1941 selon sa mère- où il doit aider à reconstruire les réseaux chez les lycéens qui ont été décimés les derniers mois par de nombreuses arrestations. Yvon Djian remplace début 1942 Léon Lavallée à la tête du trio de direction des Étudiants Communistes, comme permanent. Djian est considéré comme le responsable "politique". Il y avait trois groupes : celui des lycées, celui des facultés et celui des grandes écoles. Djian avait la responsabilité d’impulser l’action des différents groupes. Il rencontrait notamment Jean Gallèpe, responsable du groupe des lycées, lui fournissant des informations, lui donnant des directives. Il supervisait la rédaction, l’édition et la distribution de tracts et journaux comme l’Etudiant Patriote, qui constituaient la tâche principale. Il écrivit lui-même plusieurs tracts et journaux, déposés ultérieurement au Musée de la Résistance nationale. Il était connu alors sous le pseudonyme de Raymond. Yvon Djian joua un rôle prépondérant dans le recrutement de nouveaux éléments. Quand il était revenu à Paris au début de l’année universitaire 1941-1942, les effectifs étaient au plus bas chez les lycéens en raison de l’arrestation de nombreux militants soit comme résistants, soit comme Juifs, souvent les deux. Il n’y avait ainsi plus aucun militant au Lycée Victor Hugo, et Jean Gallèpe restait seul au lycée Voltaire. C’est dans cette période difficile qu’Yvon Djian a redonné confiance au groupe des lycéens grâce à son expérience, son autorité, "toujours douce" selon jean Gallèpe. Ce dernier reconnaît qu’il doit à Yvon Djian la meilleure partie de son éducation politique, réunissant des petits groupes à qui il prodiguait des cours sur le marxisme, ouvrant le débat, conseillant des lectures. A cette époque, l’objectif prioritaire était la constitution et le développement de Front national des lycées. Lavallée, qui appelle à tort Yvon, Simon, devient son adjoint et André Diez, alias Philippe, complète le trio, Pierre Noël, parti de Paris, et Suzanne Djian, sœur d’Yvon, partie depuis plusieurs mois rejoindre des groupes armés, ayant quitté ce trio. Durant cette période, les deux principales manifestations organisées par l’organisation le furent à l’amphithéâtre Richelieu, pour protester contre l’assassinat d’un professeur, et au lycée Buffon. Par ailleurs, de multiples journaux d’établissements sont rédigés et des liens sont créés avec les FTPF. Yvon Djian est considéré comme un jeune remarquable. Il donnait des cours de marxisme aux lycéens, leur inculquait des règles de conduite clandestines. Il a beaucoup aidé ces groupes selon le témoignage de Jean Gallépe. C’est le 10 janvier 1942 qu’il intègre les FTP. En tant que chef de groupe faisant fonction de sergent à la tête d’un effectif de 12 hommes, il participa à plusieurs missions sabotages, coupures électriques ou téléphoniques, propagande. Selon sa mère, il aurait participé à l’attaque de la librairie allemande Rive Gauche, boulevard Saint-Michel, le 21 novembre 1941. Aucun autre document ne fait état de sa participation à cette action de l’Organisation Spéciale. Il demeurait 48 rue Lecourbe à Paris (XVe arr.) et avait sa mère à sa charge, celle-ci habitant 88 rue Lecourbe. Il fut repéré au cours de la filature d’un autre militant communiste, Camille Baynac. Les deux hommes s’étaient rencontrés le 15 mai 1942 sur l’avenue d’Orléans dans le XIVe arrondissement. Les filatures se poursuivirent. Yvon Djian fut arrêté à son domicile le 17 juin 1942 par deux inspecteurs de la BS1 « pour activité communiste clandestine, détention de tracts et fausses cartes d’alimentation ». Son nom d’emprunt était alors Dumas Paul, Henri. Le lendemain une autre équipe arrêta CamilleBaynac. Lors de la perquisition, les policiers saisirent dans son logement des tracts du Parti communiste et des fausses cartes d’alimentation. Selon sa mère et un certificat de Résistance, il aurait été également trouvé porteur d’un plan de terrain d’aviation allemand. Au sein de la direction des Jeunesses communistes clandestine, aux côtés d’Yves Despouy et Camille Baynac, il était particulièrement chargé des liaisons avec les étudiants, les catholiques et les gaullistes. Son arrestation intervint dans le cadrede l’affaire Tintelin, suite à l’arrestation d’Arthur Tintelin. Le triangle de direction des Jeunesses communistes fut également arrêté : Gustave Pitiot, Yves Despouy et Camille Baynac. Incarcéré au dépôt de la préfecture de police à la Conciergerie, il put échanger plusieurs courriers avec sa famille, s’adressant en premier à un oncle Georges qui fut aussi son parrain et l’éleva après ses 11 ans et le décès du père d’Yvon. Son oncle vivait alors soit au Maroc, soit encore en Algérie. "Mon seul souci c’est maman !" écrit-il dans son premier courrier annonçant son arrestation. "Elle va avoir beaucoup de chagrin ; je ne lui ai pas encore écrit, je le ferai quand je serai à peu près fixé sur mon sort. Il ne faut pas se faire d’illusions et s’attendre au pire. Il faut que ce soit le plus beau titre de gloire pour la famille. [ ] De toutes façons notre sacrifice ne sera pas vain et vous en récolterez prochainement le fruit." Au bout d’un mois d’arrestation, il se plaint de nepas avoir encore reçu la moindre lettre alors que ses camarades en reçoivent plusieurs par semaines. Il assure pourtant garder un moral excellent et avoir prévenu sa mère. Il s’inquiète de sa réaction car selon lui, "pour elle, la moitié du souci vient du "Que va en penser la famille ?"." Il s’attend au pire pour son prochain jugement par un tribunal militaire allemand et informe son oncle qu’il n’a droit qu’à deux cartes par semaine. "J’en réserve une pour le "communiqué optimiste à Maman,la 2éme, vraie, à vous" avoue-t-il. Le 26 juillet, il est toujours à la Conciergerie, mêlé avec ses camarades aux droits communs, ce qui lui permet de faire des études de mœurs très intéressantes. C’est plutôt "moche" en général mais souvent bien "marrant" selon lui, rappelant plus tard à sa mère que lui et ses camarades s’attachent "à marquer la différence". Il dit lire beaucoup, notamment des romans policiers, se demandant si le fait qu’autant de romans de ce genre, plutôt mauvais, circulent ici, le sont par "vice ou par ironie". Il lira plus tard "Autant en emporte le vent" et "Mort à Crédit", de Céline. Les dernières lettres conservées sont celles reçues par sa mère. "C’est une chose très courante aujourd’hui et c’est un grand honneur pour une famille Française de compter un de ses membres sous les verrous", commence-t-il par dire pour rassurer sa mère. Il évoque parfois ses conditions de détention, le partage des victuailles reçues par ses amis avec lui qui n’a aucune famille ici et pas de visites ; la fraîcheur des cellules en plein été, la camaraderie. Les journées sont surtout consacrées à lalecture, à la discussion, avec une promenade de trois quarts d’heure dans une cour. "Ma vie en prison se poursuit sans encombres, pas beaucoup d’événements saillants, c’est une cure de repos aussi bien physique qu’intellectuelle, il ne manque que le grand air et le soleil !" écrit-il le 21 juillet 1942 à sa mère, dissimulant ainsi la réalité de sa condition et de son avenir. Le 3 août, il dit enfin avoir reçu une lettre de son oncle et annonce qu’il n’est toujours pas inculpé, l’instructionde son affaire n’étant pas encore commencée. Il demande à sa famille de ne pas se tracasser pour lui trouver un avocat. "Un communiste n’a pas droit à un avocat de son choix" assure-t-il. Tout au long de ces courriers, Yvon Djian fait preuve de laplus grande attention pour ses proches, demandant de leurs nouvelles, s’inquiétant de leur santé, en particulier sa mère, sa sœur mais aussi son neveu Jean-Pierre. Le 7 août, il n’a toujours pas reçu de lettre de sa mère et annonce avoir été changé de cellule sans que sa situation ait changé au niveau disciplinaire ou judiciaire. C’est le jour même où il fut désigné comme otage et fusillé, le 11 août 1942, qu’il reçut la première lettre de sa mère et y répondit immédiatement dans ce qui devintson ultime courrier. Il dit la joie de recevoir de ses nouvelles mais celle-ci est largement atténuée par le chagrin qu’elle exprime et qu’il lui demande de réfréner. Il confirme qu’il est encore en dépôt, qu’il sera sans doute inculpé pour reconstitution d’organisation communiste et remis aux autorités allemandes. "Ne t’inquiète pas pour cela, c’est la procédure normale dans les temps actuels" écrit-il quelques minutes ou heures avant d’être emmené au Mont-Valérien. Ainsi se termine la dernière phrase de sa dernière lettre : "On vient chercher le courrier, je ne veux pas perdre une journée. Je vous quitte en vous embrassant mille fois. Votre Yvon". Il fut désigné comme otage par les Allemands, au motif que, selon un rapport des autorités allemandes "malgré sa jeunesse et son intelligence, il travaille pour le PCF clandestin. On ne peut s’attendre à un amendement de sa mentalité". Selon les propos de sa mère dans son dossier d’homologation FFI, il aurait subi des tortures de la part de la BS. Le 11 août 1942, quatre-vingt-huit otages dont Yvon Djian furent passés par les armes au Mont-Valérien. Gustave Pitiot, Yves Despouy et Camille Baynac, les membres du triangle de direction des Jeunesses communistes furent également exécutés le même jour. Le corps d’Yvon Djian fut incinéré au Père-Lachaise, puis inhumé au cimetière d’Ivry-sur-Seine. Selon le témoignage de Jean Gallèpe, la police aurait déclaré après l’arrestation de Djian qu’il était trop intelligent et dangereux pour qu’on le laisse en vie. Sa mort a été considérée comme une perte considérable pour l’organisation des lycéensselon Jean Gallèpe Après la Libération, le 3 novembre 1944, le cousin d’Yvon Djian, Édouard Ghanassia, inspecteur à la police judiciaire, déposa plainte au nom de la famille. Il demanda une enquête pour déterminer qui était à l’origine de la demande de son arrestation et qui décida de le livrer aux Allemands. Yvon Djian fut homologué à titre posthume sergent des Forces françaises de l’intérieur (FFI) le 24 février 1947. Ses dates de service FFI vont du 1er au 20 juin 1942. Il eut aussi le titre de Déporté et interné de la Résistance (DIR) pour la période du 20 juin au 11 août 1942. Il a reçu la mention "Mort pour la France en date du 12 juin 1945. Son nom figure à Ivry-sur-Seine sur la Plaque commémorative du cimetière, à Suresnes au Monument commémoratif cloche au Mont-Valérien, et à Ivry-sur-Seine - au Carré militaire 39e division. Sa mère continua d’habiter leur appartement rue Lecourbe tandis que la sœur d’Yvon, Suzanne, avait-elle aussi occupé des responsabilités au plus haut niveau chez les étudiants communistes sous la clandestinité, avant d’être arrêtée et déportée. Jean-Pierre Besse, Daniel Grason, Eric Panthou
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